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Sous nos pieds défilent les derniers mètres de l’île, les crampons mordant une dernière fois le sable et la glace de l’embouchure de la rivière Weasel. Cette partie chaotique qui nous oblige à faire des détours ne semble jamais finir, la fatigue est là, accrue par le vent des derniers jours…  Nous atteignons enfin la glace de la banquise dans l’ombre bleue du soir. Un renard arctique nous ouvre la voie sur les eaux glacées du fjord.  Encore 30km et nous serons dans la communauté de Pangnirtung !

Devant moi Manu commence à boiter : une tendinite qui se déclare, heureusement juste à quelques kilomètres de la fin. Pour ma part, je me serais bien vu continuer quelques semaines… Les gelures sont sous contrôles, la machine bien huilée. Je me sens bien dans ce monde blanc…

epilogue-1

Quelques kilomètres plus loin nous rencontrons deux inuits venus chasser. La faune n’est pas abondante ici, en cette saison en tout cas, mais c’est leur fjord, ils y ont grandi, et aiment venir s’y promener ou y naviguer. Nous fixons une dernière fois la tente à l’aide des broches à glace, sur la banquise. Le vent omniprésent des derniers jours a fini de souffler. Nous profitons de ce silence, qui va si bien à ce paysage de glace où tout semble figé. Semble seulement, car la banquise rythme la nuit de ses craquements alors qu’elle subit la pression de la marée.

C’est une partie de la magie de ce paysage de l’arctique qui nous a accompagnés tout au long du voyage : les craquements réguliers des glaciers qui avancent, qui peuvent jusqu’à faire vibrer nos matelas la nuit., cette banquise qui craque, qui surprend au début et à laquelle on s’habitue vite. En tendant l’oreille on entend ce murmure lancé dans cette solitude glacée. La calotte de Penny, que nous avons franchie, est un des endroits au monde où les effets du dérèglement climatique se fait sentir de la façon la plus sensible. On a l’espoir que l’Homme apprendra à vivre avec sagesse sur cette Terre…

Pour beaucoup de peuples chasseurs, dont certains inuits, le paradis existe sur Terre. Et je l’ai vu ce paradis ! J’ai besoin de savoir qu’il existe de tels endroits, et j’ai besoin de les voir. Mais pourquoi le vent glacé qui fouette mon visage me réjouit-il ? Pourquoi jubiler dans cette quête de l’inutile qui consiste à s’échapper du monde, à se soustraire de l’emprise humaine, et à survivre dans l’action dans un univers extrême qui nous domine ? Se retirer un temps du monde civilisé permet de relativiser celui-ci, et de changer ses propres priorités, sans forcément pouvoir dire où est le vrai : dans celui construit par les hommes, ou bien dans celui qui s’impose à nous à cet instant là, dans toute sa puissance ?

Une aventure dans l’arctique me permet de me réconcilier avec le monde.

epilogue-3

Voilà aujourd’hui un an que nous avons fini de tirer nos fidèles pulkas. Pourquoi écrire cet épilogue si longtemps après ? Une part de moi ne veut pas abandonner cette terre de glace. Une part de moi reste et restera dans ce pays qui ne fond jamais

Je ne savais pas exactement ce que je venais chercher en Terre de Baffin. L’aventure, l’inattendu, des paysages uniques, l’engagement d’une traversée loin de tout ? Le but était peut-être de s’immerger dans la nature, de surmonter ses peurs, pour trouver ces petits grains de liberté absolue ? Cette liberté qui réside dans l’action, et qui me fait me sentir tellement vivant ! Ce que je sais, c’est que quoi que je sois allé chercher là-bas, je l’ai trouvé.
En fait, faire ce raid dans l’arctique a été bien plus que tout cela : une telle aventure a le puissant goût de la liberté et de l’immensité. Dans une dimension bien plus grande que tout ce que je connaissais déjà. Nous sommes venus ensemble ici rêver en grand, pour de vrai !

Alors que Pangnirtung apparaît, nous regardons derrière nous et repensons à toutes les épreuves traversées, et les moments intenses partagés. Je suis partagé entre le plaisir d’arriver, et la tristesse de déjà quitter un monde auquel je venais juste de m’habituer. Une monde tellement différent de tout ce que j’avais vu avant,  qu’il semblait presque irréel. Heureusement, il y aura toujours Manu pour m’assurer qu’on a vraiment vécu tout ça ensemble, et que ce n’était pas juste un rêve !

epilogue-2

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