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Récit de voyage - Asie Centrale : Kirghizistan

En route vers Sarala Saz

Pour voir toutes les photos de Salara Saz c'est ici : Galerie photo

Mercredi 25 Juillet
Après 3 semaines à voyager ensemble, Lore vient de repartir, et le voyage en solitaire commence. Une fois fait les achats de nourriture pour 5 jours au marché, c'est le départ vers Tok Mok. Dans la marchroutka (petit bus) nous sommes serrés, mais il ne faudra pas plus d'une heure pour rejoindre la ville.
Suit un taxi pour Karagol - négocié avec l'aide d'un Imam parlant anglais qui essaiera (gentiment) de m'islamiser tout le trajet durant. Me voici donc au début de cette vallée, dont les sommets encore lointains sont noyés dans le ciel sombre d'une fin de journée orageuse...
Je me motive, et marche avec mon chargement sous une fine pluie pendant 1h30 en remontant la vallée, jusqu'à trouver un bivouac idéal, non loin de bergeries.

arc en ciel

Jeudi 26 Juillet
Durant la nuit, je m'étais dit que si le temps le permettait je ferai une grosse journée pour me rapprocher le plus possible du col, voire même le passer. Hélas, mes yeux s'ouvrent sur un paysage humide et un ciel bien bas... J'avance de 2 heures, abrité par mon poncho, un vieux berger me confirme ma route. Peu après, je suis accueilli par une famille chaleureuse habitant dans une maisonnette de bois. Thé, aïran, photos avec le bébé. Le père, bienveillant me conseillera en regardant la carte de la région que je possède. Nous attendons tous que la pluie passe.

famille kirghize : père mère et leur bébé


A peine le temps de repartir et de retrouver mon rythme de marche qu'une autre famille vient me chercher pour m'offrir le thé. Je n'ai pas le droit de refuser, et en fait ces pauses au chaud à discuter, boire et manger sont plus importantes que la marche en soit ! Contrairement aux autres gens rencontrés plus bas, cette famille est d'origine russe, et 2 jeunes parlent anglais. Un grand repas familial se prépare ici, et l'on me donne un véritable festin de viande, de légume, de thé... La grand mère est adorable et m'accueille comme le ferai ma propre grand-mère ! Une nièce me rejoindra plus tard. Elle est mignonne et évidemment s'appelle Natacha.

Je continue ma marche sous la pluie. Mon objectif est alors d'arriver à un vieux wagon soviétique posé dans la vallée, juste avant que celle-ci ne se retrécisse. Durant l'après midi, la pluie a enfin cessée, mais je rencontre de gros problèmes pour franchir la rivière gonflée en de multiple points. Je perd une heure à chercher le meilleur endroit... mais rien à faire. Il me faudrait donc effectuer un détour de 4 heures... Non, je me lance. J'attache en hauteur toutes mes affaires, me met en petite tenu, pied nus. J'avance tout doucement dans l'eau glaciale. Non, je ne pourrait pas ici : l'eau m'arrive jusqu'à la taille, mais est trop puissante. Je reviens sur mes pas. Sur la berge, j'hésite à faire demi tour... Aller, je trouve un autre endroit un peu plus haut, la rivière y est plus profonde, mais la pente, donc la puissance est moindre... J'essaie encore, les 2 bâtons pour sonder le fond et me stabiliser ; descendre un peu dans le sens du courant pour ne pas perdre de l'énergie... Arriver au milieu, je me dis que je n'ai plus trop le choix ! De l'eau légèrement au dessus de la taille, je suis vouté pour ne pas trop être déséquilibré par le sac... ouf je suis de l'autre côté, sacrément heureux que mes affaires soient au secs ! Une chute, et c'était la perte du matériel photo, l'ensemble de mes affaires trempées, et peut-être bien que je n'arrivais même pas à me relever dans le courant avec ces 30 kilos...

franchissement de la rivière

En fin de journée, je trouverai le wagon recherché à côté d'une yourte; je ferai le camp non loin. Je suis alors joyeux, pensant que le plus dur était fait : en remontant une rivière, celle-ci ne peut que diminuer de taille !

Vendredi 27
Levé 6h, départ 7h, il fait beau, je dois en profiter pour passer le col aujourd'hui ! Il faut franchir encore la rivière par trois fois. Je peux l'éviter à deux reprises en contournant par dessus des falaises, en suivant l'une des innombrables traces d'animaux. Plus je rentre dans la vallée, plus les nuages s'amoncellent. Aïe aïe ! Quand ce que je pense être le dernier vallon final se profile, un épais brouillard sombre le recouvre... Il est alors 11h, et je n'ai pas envie de m'engager dans les derniers 500m de dénivelée avec cette météo, d'autant plus que j'entend le tonnerre gronder au loin.
Je mange près d'un ruisseau, guettant le tonnerre. Je n'ai vraiment pas le coeur de m'avancer dans ce brouillard là-bas. J'analyse le mouvement des nuages, je calcule. Un flux puissant remonte la vallée d'où je viens, et pousse des nuages de plus en plus épais et sombres. J'avance de 30 minutes, je ne le sens pas, je plante la tente et j'attend. Un orage passe, je suis bien sous la tente ! Il est 13h déjà, je vais bien devoir y aller un jour. Le brouillard se lève 5 minutes, j'en profite pour visualiser au mieux la forme de la fin de la vallée, et ce que je pense être l'emplacement du col. La tente aussitôt repliée, les nuages se referment sur moi. Silence un peu angoissant. Discussion avec moi-même : "Au dessus de moi, c'est plutôt blanc ou noir ?". Grande question ! Je monte incertain. Je ne vois plus de chemin, on peut se perdre très facilement dans le brouillard, dans cette dernière partie. Le vent se lève progressivement, j'espère que cela marque l'approche du col ! Tout à coup je trouve que tout devient très sombre : mon gris-blanc est devenu gris-noir ! Le tonnerre revient au loin. J'ai la totale : maintenant c'est le tour de la grêle. Je monte à bloc un pierrier instable où l'on a tôt fait de glisser; les muscles me brûlent de partout, je ne vais pas redescendre maintenant ! Mes poumons explosent, je perd le chemin, je m'oriente au feeling dans ce brouillard intense.
Ouf, je franchis le col ! Je suis cramé physiquement, soulagé, mais ça redescend doucement de l'autre côté, trop doucement. Je presse le pas afin de perdre le plus vite possible de l'altitude. 15h. Le tonnerre tonne derrière, mais à bonne distance. "Ah ah, col de Shamsky, je t'ai dompté, Salara Saz, me voici !" me dis-je tout haut !
Naïf : plus j'avance et descend, plus je me sens à l'aise certes, mais quand je me retourne ce satané brouillard me suit de trop près ! Et surtout, cette masse de nuage est sombre, trop sombre... Je pensais rapidement tomber sur Salara Saz dès le col franchit, mais ce n'est pas le cas. Un chemin se profile, faisant flanc à droite puis rejoignant une crête. Avec la fatigue accumulée, c'est un peu dur pour le moral. Alors que je réalise cela, l'immensité sombre du brouillard a rempli toute la vallée, et c'est maintenant un vent de tempête, et un rideay de neige qui s'abat sur moi, en rafale. Un terrible orage vient dans ma direction, je ne peux vraiment pas faire la crête dans ces conditions, et descend me réfugier au fond de la vallée, 300m plus bas. Mes doigts sont glacés, je m'abrite entre deux rochers sous mon poncho et attend. La montagne ne m'aura vraiment rien épargné !
Cet orage enfin passé, je rejoint en deux heures les crêtes, et passe dans le vallon d'à côté. Je vois alors une jaïloo ! Ouf, je suis épuisé. Une heure de plus, et j'y arrive, il est 18h. J'approche du plus grand groupement de yourtes (3), des enfants m'accueillent, suivi du père (qui s'avère être le chef due la jaïloo), qui me fait un grand "Salam" et me souhaite la bienvenue à Salara Saz ! Je dois vraiment avoir l'air très fatigué. Il m'aide à enlever mon chargement et m'invite dans la grande yourte, alors que le neige s'abat dehors.

un cheval

L'ambiance est festive dans la yourte, et pour cause : c'est l'anniversaire du chef. Il y a une vaingtaine d'amis et menbre de la famille, des tables remplies de nourritures, et moi au milieu de tout ça, qui me réchauffe et reprend peu à peu mes esprits. Tout le monde est joyeux, curieux, accueillant, bienveillant. Je me rempli rapidement l'estomac, et sympatiserai avec Aïda, une jeune professeur de russe de Shamshy, et son bébé.

famille et amis sous la yourte


Je vais plus tard planter ma tente juste à côté de leur yourte, et les rejoins aussitôt pour faire la fête et danser avec eux dehors dans le froid, sur la musique kirghize et ouzbèque que crache le haut parleur du vieux wagon accolé aux yourtes. Je suis le photographe officiel de cette soirée, la vodka (et le thé) coule à flot.
Quelle journée !

fête à l'extérieur

repas kirghize de fête

Samedi 28

Réveil avec le soleil vers 6h, la lumière inonde le plateau herbeux qui descend en pente douce. Derrière, les sommets sont blancs des chutes de neige de la veille. Je découvre la sérénité de l'endroit, d'autant plus appréciée après les tourmentes de la veille ! 6h30, peu de gens levés, si ce n'est ceux qui traient les juments. La lumière est magnifique, je m'approche du troupeau de chevaux, fait le portrait d'une femme. Peu à peu les hommes se lèvent. Ils m'invitent alors à prendre place avec eux, assis sur un grand shyrdak (tapis) posé dehors, face au soleil, et nous discutons. Pendant ce temps, les toutes femmes s'activent, font la vaisselle, nettoient les shyrdaks, de la grand-mère à la petite fille.
De notre côté, les hommes, enfants et vieillards buvons du kumiz, 4 bols cul sec(sinon ce n'est pas bon pour la santé me disent-ils). Beaucoup se rendront dans la matinée au festival, ) une heure de marche de là. Nous irons tous ensemble !

yourte dans la montagne


Vers 9h, c'est le "chaï" dans la grande yourte : thé, pain, pâtes, viandes de mouton. C'est en fait le gros repas de la journée (tant mieux !). Nous partons finalement à cheval vers les plateaux de l'ouest, en portant un carcasse de mouton sans tête (environ 15kg), non sans s'arrêter prendre un kumiz de plus dans la yourte d'un des jeune de notre groupe.

amis kirghizes


Mes compagnons sont sympathiques, joyeux et curieux. L'un d'eux m'explique comment il s'est fait une entorse au doigt ce matin en tordant la tête du mouton. Nous sommes à trois sur le cheval, et 2 autres chevaux se joindrons à nous pour atteindre le lieu du festival. Quelques touristes sont là, et beaucoup de kirghizes venus des jaïloo voisines.

jaïloo


Les chants traditionnels commencent, un vieil homme récite des mantras, en solo ou accompagné par un groupe avec accordéon et komuz, la petite guitare kirghize. Belle lumière, beaux costumes. Suivent les jeux : Kiz-Kumaï (course et baiser de la fille), Kurosh et Oodarysh (lutte à cheval et à terre). Les lutteurs sont chauds, tout cela peut dégénérer assez vite , tant du côté des lutteurs que du côté des spectateurs, quiencouragent leur champion. Le Tyiyn Enmey consiste à attraper un foulard posé par terre sur un cheval au trot ou au galop. Les kirghizes montrent là leur habileté à cheval - et ils en ont.
Enfin, vient le roi des jeux traditionnels, l'Ulak Tartysh : il faut noter qu'il n'y a pas de limite de terrain, les joueurs s'en vont parfois très loin. Le combat qu'ils se livrent est très rude, afin de récupérer la carcasse de mouton sans tête et venir la poser dans la cible. Pour l'un des match, la vistoire est contestée, tout le monde s'en mêle...

jeux kirghizes à cheval
Le soir je resterai avec quelques touristes, dont deux journalistes de Geo Allemagne. Cela me vaudra un retour tardif à ma jaïloo sous la pleine lune, ce qui n'est vraiment pas évident sur ce plateau sans chemin pour s'orienter ! Arrivée "à la maison" vers 22h, ce n'est pas fini, oh non : c'est tout juste l'heure du souper ! On mangera, boiera jusqu'à tard dans la yourte,a vec de nouveaux amis et membres de la famille venus de Osh entre autre. De multiples toasts seront donnés sur un ton solennel, avec une éloquence toute kirghize, durant 10 minutes parfois.

Dimanche 29

Bien que je me sente plus que bien ici, je veux essayer de partir assez tôt vers le lac de Köl-Tör, que j'estime être à environ une journée de marche. Je me lève vers 6h avec le groupe, mais personne ne veut que je parte ! Je reste donc le début de la matinée à discuter avec tout le monde et faire des photos (notamment de la jeune bergère). vers 9 heures viendra l'habituel "Tchaï", que je ne déclinerai pas ! Je passe un bon moment à observe leur étrange outil métallique qu'ils utilisent pour faire le thé. Ils le prépare avec une lenteur cérémonieuse, et c'est délicieux ! Je partirai une heure plus tard, plein d'émotions, beaucoup de tristesse de quitter ce groupe qui m'aura si bien accueilli.

portrait de femme


Je navigue un peu au hasard au début : l'immensité du plateau qui descend doucement n'est pas propice à l'orientation. Je m'égare un peu en arrivant dans les premiers replis du terrain, en rencontrant une rivière qui aura creusé des petites falaises. Je fais plusieurs fois demi-tour, et manque même de me prendre une pierre qu'une chèvre perchée en hauteur a fait dévaler. La marche est fatigante, le soleil tape fort, je m'arrête toutes les heures, fatigué par le poids du sac. Les quelques personnes que je croise se pressent sur mon chemin pour m'inviter à boire ou manger. Je décline l'invitation pour avancer, après une petite discussion (jeune père, puis vieil homme). J'arrive finalement dans l'après-midi à l'entrée de la vallée de Köl-Tör, qui est cernée par de hautes falaises. Une certaine ambiance de calme et d'austérité règne, et cependant je suis dans l'inconnnu : aurai-je assez de forces pour atteindre le lac - je me sens de plus en plus faible ? Y a-t-il des animaux sauvage dans cette vallée comme me l'ont dit plusieurs kirghizes ?
Tout s'arrangera finalement : je croise une yourte vers le milieu de la vallée. Le jeune couple y habitant pour l'été me dira qu'il n'ont jamais vu de voyageur dans cette vallée. Après m'avoir offert du pain et du thé, l'homme me proposera de faire les 2 dernières heures à cheval avec lui : il en profitera pour ramener ses troupeaux des hauteurs. Nous allons donc tout deux sur nos chevaux respectifs dans la lumière du soir, chercher les bêtes. C'est très intéresant de voir ou peuvent se percher les troupeaux, chèvres particulièrement.
Nous passons par quelques endroits bien vertigineux, mais je décide de faire une confiance totale à ma monture, de toute façon je n'ai guère le choix ! Arrivés au lac, nous en ferons le tour : les pentes sont bien abruptes, et se jettent directement dans l'eau. Le berger restera avec moi quelques temps pour me montrer les quelques vaches qui restent là, ainsi que pour me conseiller les oignons sauvages : idéal pour agrémenter la cuisine de ce soir ! Il me parle de la source d'eau qui part du lac pour ressortir 1 km plus bas, de son amour pour la beauté du lac et de cette vallée. Il prend le temps de regarder le paysage, les couleurs, les reflets dans le lac (il ne faut pas s'y baigner, je ne sais pas pourquoi, mais il ne faut pas !); c'est rare un berger qui prend le temps d'admirer la nature tout simplement autour de lui, certains ne la remarque plus.
Je resterai bivouaquer ici, à la surprise du berger : que ferai-je s'il y a mauvais temps ? Le vent souffle fort, le froid s'installe. Je suis à nouveau seul sous ma tente. Du coup, la présence de mes amis de ces derniers jours me manque plus encore, même si je savoure d'être ici en solitude !

eau turquoise du lac de montagne

 

   

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