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En avril 2015, je suis parti avec Manu pour la Terre de Baffin, au Nunavut dans l’arctique canadien. pour un périple de trois semaines en autonomie en ski pulka. Présentation générale de l’expédition
A lire aussi : Journal 1 : le début de l’aventure

Le mur du doute – Jours 2 à 4

Nous sommes seuls dans un chaos de pierre et de glace au fond du fjord, au pied du long glacier du Couronnement. L’endroit est silencieux, vide. Qik est à 50km de nous et Pang à 200km de l’autre côté de l’île et de la calotte de Penny. Aucune autre option en vue !

Il nous faut rapidement préparer de l’eau chaude, et lancer la routine pour pouvoir boire et manger… c’est à cet instant que l’on se rend compte que mon fidèle réchaud a une fuite. Après analyse nous concluons qu’un des joints est hors service, et nous n’avons pas de quoi réparer. Sans joint pas de pression, sans pression pas de chaleur, pas d’eau… Piégés comme de vrais débutants !

Je m’en veux : j’ai préparé, vérifié, et pensé à tout plein de choses, mais je n’ai pas re-testé mon réchaud juste avant le départ. Je partais du principe qu’il fonctionnait comme il le fait depuis plusieurs années. Nous utilisons tout de suite le second réchaud, mais lui aussi a choisi de faire des siennes ce soir ! Impossible de connecter la pompe avec la bouteille de carburant. Avec le froid les matériaux se comportent différemment et nous devons les chauffer et forcer pour que cela fonctionne, pas très rassurant.

Tout à coup je réalise à quel point le réchaud est un élément central du matériel, et comment notre situation est précaire : sans réchaud, nous ne pourrons boire. La survie quand on est déshydratés à -30°C ne doit pas être bien longue , même blotti au fond de son sac de couchage.

Faisons le bilan après deux jours sur la banquise : j’ai un début de gelure aux pieds, un de nos réchauds est déjà hors service et on a des doutes sur le second. Si l’on a déjà tous ces problèmes ici avec une belle météo et -25°C, comment résisterons-nous aux conditions là haut sur la calotte à 2000m d’altitude, avec -35°C, du gros vent, et que ferons-nous si l’unique réchaud restant a des problèmes ?

C’est la consternation dans la tente. Je sens que Manu est prêt à remettre en cause l’expédition, et moi aussi de mon côté j’ai de sérieux doutes. Dès que l’on sera sur le glacier, le seul moyen de secours sera un hélicoptère basé à Jasper, à 5000km de là. Il lui faut au minimum 2 ou 3 jours pour intervenir, plus vraisemblablement 5 jours. Nous savions tout cela avant le départ, mais là on le mesure pleinement…

Nous avons peut-être visé un itinéraire trop périlleux pour nous deux ? Avons-nous sous-estimé l’engagement sur cette traversée faite en duo? On considère sérieusement d’abandonner. Ce serait peut-être plus sage, mais ce serait renoncer à un rêve que l’on poursuit depuis très longtemps… On se donne un temps de réflexion.

baffin-02161Le glacier du Couronnement plongeant dans le fjord

Le lendemain, c’est donc avec le doute que nous explorons sans les pulkas la montée et la première partie du glacier. Cela se présente mieux nous le pensions : la partie raide dans les blocs est relativement courte, et surtout, plus loin le glacier nous a laissé voir une surface très peu crevassée. Le cheminement paraît assez évident, c’est un soulagement en ce qui me concerne, et pour Manu cela confirme ce qu’il attendait. Cela nous donne un élan positif, mais n’efface pas nos problèmes de réchauds. Nous revenons en fin de journée à la tente et laissons le camp établi au même endroit.

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Les crevasses de la partie inférieure centrale du glacier : impossible de passer par là avec les pulkas

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Reconnaissance sans le chargement des premiers kilomètres du glacier. Trouver le chemin en évitant les zones crevassées est plus simple qu’imaginé 

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Retour au camp, notre tente est dissimulée entre les blocs !

La nuit portera conseil espérons nous… En tout cas elle m’apportera de l’adrénaline : je suis persuadé d’entendre un gros ours roder autour de notre camp. De grands bruit sourds de pattes dans la neige, réguliers et répétés. Je l’imagine renifler nos pulkas. Manu dort profondément, je n’ose le réveiller. Il me faut quelques minutes pour oser bouger, et m’assurer qu’il n’y a plus de bruit… Le matin je ne verrais aucune trace autour de la tente, c’était probablement le bruit du vent associé à mon imagination… mais honnêtement, je n’en serai jamais vraiment sûr !
Le bon côté c’est que cette poussée d’adrénaline aura activé ma circulation sanguine, et aura réchauffé instantanément mes pieds et fait du bien à mes gelures !

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Des traces sur le glacier, mais pas d’ours celles-là !

Le jour d’après, pour faire bref, après avoir essayé en vain de trouver une solution de secours pour un réchaud avec Eric puis Billy via la balise satellite, et après avoir fait une réunion au sommet avec Manu, nous décidons malgré tout d’y aller pour de bon. Nous avons analysé le réchaud de Manu pour bien comprendre d’où venaient ses humeurs (c’est susceptible un réchaud !), comment optimiser la pompe…, et je suis fondamentalement confiant sur le fait qu’on peut s’en sortir avec pendant 3 semaines.

Nous allons à présent commencer l’aventure la plus engagée que l’on ait connue Manu et moi, avec un seul réchaud fonctionnel…

Entre temps, une partie du front du glacier s’est effondré dans un fracas impressionnant, brisant la banquise et projetant des blocs de glace à une centaine de mètres. Nos traces du skidoo sont en partie recouvertes… Comme nous a dit Billy, dans l’arctique, tout peut changer très vite ! Je suis impressionné qu’un front de glace de 20m de hauteur puisse projeter aussi loin des blocs.

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L’effondrement a brisé la banquise et projeté des blocs à grande distance

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Je réalise que cette situation de crise dès les tout premiers jours aurait facilement pu faire exploser notre équipe : nous ne nous connaissons pas encore beaucoup avec Manu, on a décidé de se faire confiance pour la préparation, pour nos personnalités, mais quant à nos réactions en situation tendue sur le terrain… c’est précisément ce qui peut rendre difficile la vie entre coéquipiers ! Que le problème ait été géré sans tension supplémentaire inutile, en communiquant calmement et posément, m’a rassuré quand même sur notre binôme et pour le reste de l’expédition.

Pour franchir le mur, nous nous mettons à deux par pulka, et faisons deux allers-retours complets. On s’enfonce entre les rochers saillants qui raclent nos pulkas, on met toutes nos forces dans les passages les plus raides,… et après plusieurs heures, on y arrive ! On est enfin avec le chargement à 100m d’altitude, au niveau du glacier !

En deux jours, nous avons avancé de quelques centaines de mètres sur la carte, il va être temps d’accélérer le rythme si l’on veut arriver de l’autre côté !

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On recharge les batteries après la rude montée !

La suite par ici : La morsure du Grand Blanc

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