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C’est parti pour de bon maintenant ! Une fois prise la décision d’avancer, nous nous sentons libres et plus légers. Façon de parler car les pulkas se font bien sentir même si la montée est très progressive : nous devons maintenant monter de 2000m verticalement en 40km de distance environ, au boulot ! On avance doucement, en reprenant le chemin fait à la reconnaissance. Nous devons faire attention aux rochers saillants afin de préserver les pulkas.
Une fois sortis de la zone avec les roches, nous nous encordons rapidement. On croise régulièrement de petites fissures de 10 à 20 cm, mais aucune crevasse sérieuse n’est visible. A présent, avec toutes les couches de vêtements, le casque, le harnais des pulkas, le baudrier avec le matériel de glacier, la corde autour du torse… nous sommes bien saucissonnés de matériel, et pas vraiment libres de nos mouvements.

Dès le lendemain, nous apercevons au loin la Tour du Couronnement, à une distance de 20km. D’une allure très reconnaissable, elle nous semble si proche que j’ai envie d’y bivouaquer ce soir même ! Il nous faudra pourtant 3 jours pour la rejoindre. Ainsi, l’illusion des distances n’aura cessé du premier au dernier jour : il faut systématiquement doubler voire tripler notre première estimation, basée sur les paysages des Alpes. Ici, tout est bien différent !
baffin-02225Passage à travers une bédière

Le glacier du Couronnement est beau et grand. Non, je devrais dire plutôt imposant et interminable. Si les paysages à l’horizon évoluent lentement en raison de leur grandeur, il n’y a pas de lassitude pour autant : sous nos skis tout change en permanence. Des zones de sastrugis ( le travail du vent sur la neige), des rochers, un glacier crevassé qui se dévoile entre deux parois de granite, une bédière (rivière en été à la surface du glacier formé par la fonte des glaces) à franchir plusieurs fois, des nuages qui dansent au dessus des murs de granites, tout se succède rapidement dans ce long spectacle sans entracte!

Au dessus de nous se dressent des sommets coiffés de glace : la calotte de Penny nous domine encore et se dévoile peu à peu.

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Toutes les nuits depuis le début, le thermomètre descend entre -25°C et -27°C. Nous sommes bien dans nos duvets, juste comme il faut. Mais cette nuit là, réveil inhabituel en coup de chaud vers 4h du matin : il fait -15°C ! Le vent s’est levé, projette de la neige dans l’abside. Au matin, le vent de face qui descent le glacier est encore supportable avec la cagoule. Il se renforce d’heure en heure, nous sentons pleinement la morsure du grand nord, jusqu’au point où nous n’osons plus avancer : il faut effectivement être capable de poser le camp.

Nous montons la tente dans les rafales, exactement en face de la Tour du Couronnement. Elle nous a attirés, hypnotisés depuis des jours, elle nous a eu ! Je nous imagine comme des fourmis perdues dans l’immensité, qui ont trouvé refuge près de ses gigantesques parois verticales.

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Quand le vent se déchaîne on est certes bien protégés dans la tente, mais avec quel bruit et fracas de toile ! On sort la renforcer régulièrement, ajuster le mur de neige. Ce qui m’embête avec ces rafales, c’est qu’elles déforment brusquement la tente, et sont plus embêtantes qu’un vent constant. D’ailleurs, un des arceaux sortira bien « courbé » de la nuit ! Heureusement, ce mauvais temps ne durera pas, et nous nous réveillerons sous un beau soleil, à côté d’un magnifique granite saupoudré de blanc.

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Après 5 jours de montée sur le glacier, nous sommes à 1550m d’altitude. Ca ne finira donc jamais ? Nous n’avons pas fait des distances gigantesques chaque jour : la prise d’images et la lutte contre le froid nous occupent pas mal. Ce froid qui est quasi omniprésent nous laisse peu de répis.

Journée type contre le froid :

Réveil : après une nuit en position horizontale, mes pieds sont insensibles, je réactive la circulation avec un bon massage, et leur donne la chaleur de mes mains. Je m’assure que la sensibilité revient, contrôle la couleur, et essaye de juger l’évolution par rapport au jour d’avant.
– Départ : les quelques minutes avec les chaussures au contact de la neige pour lever le camp ont suffi à glacer de nouveau mes pieds. Il faut 1 à 2 heures de mouvement pour que la sensibilité revienne.
Après-midi : pour quelques heures, de 13 à 17h en général nous avons presque chaud selon les conditions ! C’est les vacances…
Arrivée et montage du camp : je dois minimiser le temps où je suis sur la neige sans les skis, la morsure du froid revient très vite… Une fois dans la tente, massage et transfert de chaleur avec mes mains…
Repas du soir : il nous réchauffe tout le corps, on en a besoin car il faut réchauffer également nos sacs de couchages qui sont aussi à température ambiante, cela prend de l’énergie, et la seule disponible vient de notre corps.
Séance de séchage chaussettes gants bonnet sur le réchaud : il faut éliminer l’humidité à tout prix pour le lendemain !
En dehors des quelques heures « chaudes » entre 13 et 17h, il fait en général sous les -25°C le reste du temps.

Bref, l’intérêt pour toi lecteur est peut-être relatif, mais cela a occupé une bonne partie de mon temps et de mes pensées pendant la première moitié de l’expédition en tout cas ! Au milieu de tout ce rituel du froid, on n’a pas de mal pour être émerveillés par le paysage, avancer parce qu’on veut voir ce qu’il y a plus loin, prendre des photos et films, et se sentir chanceux d’être là quand même !

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Il faudra attendre le 6e jour de montée pour sortir enfin du large couloir du glacier du Couronnement et être sur la calotte. La tour a disparu en contrebas.

Nous sommes au milieu de collines de glace. On a le sentiment heureux d’en avoir enfin fini avec la montée ! Notre univers est blanc et immense. Au nord et à l’est s’étend l’immensité glacée de la calotte de Penny (6000 km²). Dans le ciel une parhélie nous rappelle si besoin était qu’il fait bien froid !

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Dès la moindre pause, il nous faut effectivement nous couvrir au maximum. Avec Manu on se demande depuis quelques jours quelle nuit nous allons passer sous les -30°C… Et bien ce sera celle en haut de la calotte ! Mais nos corps qui sont devenus maintenant de véritables machines à brûler les calories résistent bien mieux à cette nuit qu’à la toute première passée sur la banquise !

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Le moment où l’on passe au point le plus haut vers 1900m sera un moment d’une beauté rare. On commençait à trouver le temps un peu long : souvent nous pensions y être, avant de réaliser qu’il fallait une heure ou deux de plus à chaque fois ! On domine alors une bonne partie de l’île, et au sud, à l’horizon se succèdent une foule de sommets glacés. La grandeur de l’endroit est renversante, et pour Manu et moi c’est l’un des plus beaux endroits montagneux que l’on a eu l’occasion de contempler.

Nous allons maintenant basculer vers une partir de l’île au relief plus accidenté : nous devons aller rendre visite à quelques géants de granites, qui sont reliés entre eux par des corridors de glaces. Mais ça, c’est pour le prochain épisode !

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