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Laisser le point culminant de la calotte derrière nous est ressenti comme une réussite. Loin de tout, avec autour de nous des dizaines de kilomètres de glaciers dans toutes les directions, nous sommes confiants et excités pour la suite de l’expédition.
Manu se réjouit à la vue du relief accidenté de la partie plus au sud de l’île : les belles montagnes imposantes ne manquent pas. Nous poserons ce soir l’un des bivouacs les plus magnifiques qui puisse être, dans une vallée glaciaire aux proportions gigantesques. Dans les dernières heures du jour, une lumière pure vient jouer avec la brume qui danse.
Plus haut, les nombreux séracs sont éclairés encore quelques temps, avant de disparaître rougeoyants. Si nous n’avions pas fait tous ces efforts pour venir ici, pour qui aurait été ce spectacle ?
Profitant de l’absence de vent pour une fois, je reste dehors plus longtemps que d’habitude malgré les -30°C. Les étoiles apparaissent, y aura-t-il une autre aurore boréale ? Je viendrai me blottir dans mon sac de couchage avant de le savoir…
Panique à bord le matin du 11e jour : un appel de détresse a été déclenché par erreur. Le bouton de verrouillage était mal enclenché, et nous réalisons seulement au matin que cela fait plus de 12 heures que certains en Europe paniquent pour nous, et que les rangers canadiens préparent une reconnaissance pour un sauvetage. Nous prévenons immédiatement toutes les personnes concernées de l’erreur, et les choses rentrent en ordre. Nous apprendrons plus tard qu’à 2 minutes près un avion décollait pour une reconnaissance… ouf ! Mais c’est surtout pour quelques proches que cela a dû être le plus dur : sans réponse de nous 12 heures après avoir déclenché la balise… que penser ? Bref, après avoir fait tout ce qu’on a pu faire pour corriger le tir, nous nous mettons en route pour retrouver notre bon ami le vent de face.
Il nous faut trouver le glacier Norman pour pouvoir redescendre sur l’axe central du Summit Lake et la Weasel River et poursuivre notre chemin. Bon, avec une bonne visibilité et les cartes ce n’est pas trop dur, mais dans le white out des mauvais jours cela doit être une autre paire de manche ! Nous espérons qu’il n’y aura pas trop de zones de crevasses, cela demeure toujours l’inconnu pour nous… En tout cas, c’est cet itinéraire que nous avions choisi initialement, et qui semble être le moins problématique.
Nous posons la tente dans un gros vent au pied du Mont Brynhild, un imposant géant de granite. Ce soir là ça souffle sérieusement, mais de façon régulière : c’est moins problématique que des rafales pour le matériel (et les hommes !).
Le réchaud marche de mieux en mieux : Manu est au petits soins, il a graissé la pompe, nettoie le gicleur… tout fonctionne comme prévu. Non, il n’y a pas que des galères avec le matériel !
Enfin, je ne devrai pas dire ça si vite…
Le matelas de Manu souffre d’une crevaison lente (les cyclistes apprécieront), il dispose heureusement d’un second matelas en mousse alvéolée le vieux briscard ! Le mien a une hernie, qui grossit chaque jour. Elle occupe maintenant la moitié de la surface. En gros, mon matelas à quadruplé de volume de façon irrégulière, ce qui veut dire que je dois dormir sur la tranche tout le reste du voyage, avec un sac à dos dessous pour tenter (en vain) d’équilibrer les niveaux et de maintenir l’isolation thermique (ça c’est bon), et donc un confort douteux pour des nuits réparatrices !
Le vent qui ne dort jamais nous dévore. Je me réveille avec le son de la neige qui frappe la tente en rafale.
Dès l’instant où nous sommes à l’extérieur, nous devons nous mettre en mouvement. Ces jours et ces nuits fait de froid ou de vent ne nous ont pas affaiblis : au contraire, ils nous ont en quelque sorte liés à cette terre de glace.
Parfois, nous ne trouvons aucune protection pour placer la tente. Le vent s’engouffre partout. Alors que nous pensions trouver abris dans un vallon perpendiculaire à l’axe du glacier Norman, les volutes de neige omniprésentes nous font comprendre que c’est peine perdue. Ces glaciers sont de longs couloirs où le vent s’accélère en descendant de la calotte, sans rencontrer de véritable obstacle.
Tous les soirs c’est la même routine : monter le camp, allumer le réchaud, faire fondre de la neige, préparer scrupuleusement les rations de nos savants mélanges déshydratés… Tous ces gestes sont presque un défi en soi à réaliser avec les conditions les plus rudes. Parfois nous nous accordons une petite heure de « sieste » dès que la tente est montée, juste pour pouvoir souffler avant d’attaquer les tâches du soir… Nous sommes pendant ce temps reclus dans l’espace restreint de la tente.
Oui, nous passons beaucoup de temps dans cette tente, plus que tous mes voyages en Laponie, où elle était souvent un abri juste pour les heures de sommeil. Mais on accepte cet état de lutte et d’inconfort quasi permanent, en se disant que c’est le prix à payer pour être ici ! Ils nous faut bien prendre la calotte de Penny et ses glaciers comme ils sont.
La descente du glacier Norman se fait désencordés : pas de zone crevassée en vue à sa surface régulière.
Alors que nous cherchons un chemin praticable entre les blocs de pierre sans nous faire emporter dans la pente par les pulkas,une forme géométrique improbable surgit à l’horizon, telle un mirage à travers la neige soulevée par le vent.
C’est notre première rencontre avec cette tour parfaitement triangulaire vue de loin, le mont Thor, sommet mythique de par son nom et pour les grimpeurs de toute la planète : 1250 m de face avec 15 degrés de dévers, tout simplement unique au monde ! Ce doigt dressé à presque 30km de distance nous guidera dans l’axe de la vallée principale. Nous espérons que notre visite au dieu du Tonnerre qui contrôle les vents et combat les géants nous attirera sa bienveillance ! Quel satisfaction d’être ici, avec tous ces sommets en vue depuis la tente…
Pendant une journée de « repos », j’irai faire une reconnaissance après avoir renoncé à l’ascension du Mont Battle, qui apparaît beaucoup plus grand en vrai que sur la carte ! (ou c’est moi qui étais fatigué peut-être ?). A peine plus loin nous entrevoyons déjà le Mont Asgard et Loki. Pour aller les voir de plus proche, nous allons devoir affronter un puissant vent de face (à moins que Thor ne change d’avis) pour traverser Glacier Lake, puis remonter le glacier Turner. On a déjà mal aux cuisses en voyant la pente !
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