En avril 2015, je suis parti avec Manu pour la Terre de Baffin, au Nunavut dans l’arctique canadien. Notre périple de trois semaines en autonomie en ski pulka nous aura permis une traversée de la plus grande île du grand nord canadien, de Qikiqtarjuaq à Pangnirtung en passant par la calotte glaciaire de Penny, l’une des plus grandes étendues de glace de l’hémisphère nord.
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J’attendais ce moment depuis si longtemps ! Tant de préparations et de transports pour arriver aujourd’hui dans l’arctique canadien, sur l’île de Baffin à Qikiqtarjuaq. Nous survolons à basse altitude le parc Auyuittuq, en essayant de reconnaître par le hublot de notre petit avion à hélices les fjords, les sommets et les glaciers analysés depuis des mois sur la carte. Dans quelques jours, nous serons perdus au milieu de cette immensité glacée, entourés de géants de granite, seuls et presque invisibles dans cette infinité blanche. J’essaie de scruter les crevasses, et de repérer notre itinéraire. Dans la tête peu de place pour doute concernant l’aventure que l’on s’apprête à vivre, surtout de l’excitation.
Un beau soleil et -20°C nous accueillent à Qik, communauté inuit comptant 500 habitants. Fini de rêver par le hublot, il faut passer à l’action maintenant. Nous nous attelons à nos pulkas pour marcher vers le centre du village. Avec 70kg de matériel et de nourriture, nous avons – j’espère- tout ce qu’il faut pour tenir 24 jours en autonomie totale. Nous avons deux tâches à réaliser aujourd’hui : trouver du carburant pour nos réchauds, et rencontrer Barb, la responsable du parc Auyuittuq, pour qu’elle nous explique entre autre comment réagir face aux ours polaire, nombreux de ce côté de l’île, et dans le Détroit de Davis en général…
Nous poserons la tente sur la banquise dans le port. Des enfants viennent à notre rencontre et regardent attentivement notre matériel. D’où venons-nous, où allons-nous ? Les précédentes personnes qu’ils ont vues sont les aventuriers Sarah McNair-Landry et Erik Boomer avec leurs 16 chiens, qui sont en train de faire les 4000km du tour intégral de l’île de Baffin… Déjà que l’on se sent petit face à notre périple de 3 semaines, alors là… ! Cet endroit à vraiment le parfum de l’aventure.
En ce dimanche, le carburant pour réchaud est introuvable, malgré la gentillesse des gens rencontrés. Qu’importe pour ce soir, après avoir fait les formalités Barb nous invite à venir cuisiner chez elle. Demain nous devons en avoir normalement.
Une aurore boréale enveloppe notre première nuit sur la banquise, nous sommes comblés. Un ours a été vu dans les environs récemment, nous espérons que les chiens attachés non loin nous préviendront s’il s’approche. En tout cas, épuisés par les jours de voyage, il ne nous empêchera pas de trouver vite le sommeil.
En route vers le Couronnement
3h du matin. -25°C. Nous sommes blottis dans nos sacs de couchage, et la banquise craque sous nos têtes. On s’y habitue vite.
Je réalise alors que j’ai un problème aux pieds : je ne sens pas certains orteils. J’ai probablement eu froid sans m’en rendre compte les premiers instants sur la banquise… Après quelques massages je peux sentir le sang revenir, pulsant douloureusement dans les orteils. Bon, s’il y a douleur et que je sens quelque chose, c’est que ce n’est probablement pas trop grave, mais il faudra surveiller de près. Ce qui m’embête c’est que plusieurs heures se sont déjà écoulées depuis que les orteils ont commencé à geler, j’espère que cela ne les aura pas trop fragilisés pour la suite…
Le matin le village s’éveille très lentement. Nous partons à la rencontre de Billy, avec qui nous devons aller au Fjord du Couronnement en skidoo. Billy est un chasseur expérimenté, fier propriétaire de 2 bateaux et plusieurs skidoos. Comme convenu, il nous a mis de côté les 10L d’essence dont nous avons besoin. Ouf !
Au large du village, nous irons à la rencontre du Vagabond, bateau d’Eric Brossier et sa famille. C’est une aventure pour nous d’être quelques semaines dans l’arctique. Eux y naviguent depuis plusieurs années maintenant avec deux petites filles… Lui fait de la logistique pour les scientifiques de l’arctique, elle fait des carnets de voyages. Les petites vont à l’école de Qik en inuktitut. Une famille exceptionnelle !
Hélas, je me rends bien vite compte que mes pieds ne me laisseront pas tranquille : les premières minutes en skidoo auront suffit à rendre de nouveau la moitié de mes pieds insensible… La sensation n’est pas agréable, mais je ne peux pas faire grand chose… Je serre les dents et vais essayer de faire au mieux ! Je sais que les toutes premières heures dans l’arctique peuvent être cruciales : le corps n’est pas encore préparé au froid, on n’a pas encore tous les bons réflexes… Des erreurs au tout début de l’aventure peuvent se payer cher pendant des jours ou des semaines, ou faire tout rater. Je ne serais pas le premier à qui cela arrive…
Habillé avec toutes nos couches de vêtements, nous filons plein sud sur la banquise et croisons de gigantesques icebergs. De quels fjords viennent-ils ? Devrons-nous grimper quelque chose d’aussi haut et abrupte devant le front du glacier du Couronnement, dans quelques heures ?
A l’entrée du fjord du Couronnement, des traces d’ours excitent Billy : une mère avec 2 petits nous dit-il. Nous ne les croiserons pas, mais verrons les restes sanglants d’un phoque près d’un trou d’eau. Cela nous conforte bien dans l’idée d’essayer de faire le camp le plus haut possible ce soir, et d’éviter de rester sur la banquise !
Après plusieurs heures frigorifiantes, le glacier se profile enfin. Son front fait 2km de large. Nous devons trouver un chemin d’accès à présent, et observons à distance. A gauche cela semble facile, mais plusieurs équipes des années précédentes ont fait demi-tour plus loin à cause de crevasses. Nous nous rapprochons et effectivement, c’est tout de suite beaucoup moins facile vu de près. Tout à droite ce n’est pas très réjouissant, mais semble faisable avec un peu d’acharnement. A droite ce sera donc.
Billy nous laisse .
Nous sommes maintenant seuls au fond du fjord devant cette barre de glace à franchir. Les couleurs dans les tons de bleus ne réchauffent pas vraiment l’atmosphère de fin de journée. Vu l’heure avancée et la difficulté du terrain, nous plantons la tente après 50m d’effort au milieu de blocs de pierres. Cela promet pour les jours à venir !
Nous espérons qu’aucun ours n’aura eu l’idée de s’avancer si loin dans le fjord. Je me dis qu’ils sont en majorité à 30km au large, à la limite de la banquise, là où ils peuvent chasser facilement les phoques. Nous repensons avec Manu à la carcasse croisée à quelques kilomètres d’ici, quand j’observe quelque chose au milieu du fjord : au zoom, je peux voir un phoque allongé sur la banquise… Voilà qui n’arrange pas nos affaires !
La suite c’est ici : Journal 2 – Le mur du doute
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