Nous entamons un circuit fantastique au royaume des dieux de la mythologie norvégienne. Nous espérions depuis le début avoir une météo clémente pour nous approcher du mont Asgard et en faire le tour, et d’après notre routeur météo cela sera bien possible !
La traversée de Glacier Lake se fait sans surprise à une allure d’escargot en luttant contre le vent. Nous grimpons les pentes du glacier Turner après avoir allégé au maximum les pulkas, et laissé sous un rocher le superflu dans nos bidons hermétiques. Pendant l’ascension, la dent aiguisée du Mont Loki se dévoile rapidement au côté du Mont Asgard. Situées en haut du glacier Turner, ses deux tours cylindriques nous dominent majestueusement avec leurs flancs parfaitement verticaux qui s’élancent d’un jet de 1200m vers les cieux. Le cascadeur Rick Sylvester s’est élancé de son sommet en BASE jump dans la première scène du James Bond The spy who loved me. Cette montagne est d’une beauté renversante ! Nous posons le bivouac entre les deux divinités alors que les couleurs du soir font encore plus rougir le granite du géant.
Aujourd’hui des nuages lumineux dansent au sommet qui semble en éruption, et glissent sur ses parois de granite. Nous laissons le camp installé et les pulkas pour faire le tour horaire. Une sensation de vertige s’empare presque de nous quand une parhélie nous entoure alors que nous sommes sur le glacier Parade: les cristaux de glace en suspension dans l’air arctique créent cet halo lumineux qui nous nimbe. Cernés étroitement par les immenses parois verticales et la féérie dans le ciel, nous vivons quelques instants dans un autre monde. Je repenserai sûrement toute ma vie à ce spectacle fantasmagorique.
Alors que tout le cheminement se fait sans problème depuis le matin sous un bon soleil, il nous reste un fin d’après midi un dernier col à passer avant de rejoindre notre camp laissé pour la journée. Et il va nous sortir de notre rêverie : sur le côté nord du col, nous sommes confrontés à l’absence de neige, et donc une belle pente de glace ornée de crevasses béantes… Si cela ne passe pas, nous devrons repartir en sens inverse pour 5 ou 6 heures supplémentaires…
Le temps de chercher un itinéraire (10 minutes tout au plus), dans le fort vent face au col, à l’ombre, avec -23°C, nous nous sommes considérablement refroidis. Nous sommes encore à une bonne heure de notre camp. Si nous avions un problème physique, voire une chute dans une crevasse, les conséquences ici seraient rapidement dramatiques…
Ce sont les règles de la montagne en général, et c’est encore plus vrai en arctique : tout peut changer très, très rapidement.
Heureusement, Manu nous dénichera un passage juste comme il faut !
Nous nous faufilons entre les crevasses pour descendre le col dans les lumières du soir, puis enchaînons à toute allure pour tenter de nous réchauffer, tout en admirant les fabuleux flancs nord du Mont Asgard.
Nous sommes à 18h dans la tente, ou l’on s’allonge directement dans nos duvets sans bouger, pour récupérer, se réchauffer, et enfin savourer pleinement cette mémorable journée !
Le lendemain, la descente du glacier Turner est un vrai plaisir : sous le soleil, les pulkas glissent sans le moindre effort. Asgard et Loki disparaissent progressivement alors que nous nous engageons le vent dans le nez encore sur Summit Lake. Notre itinéraire reprend la direction du Mont Thor, qui à son tour nous fait nous sentir insignifiants ! Pour les jours à venir, nous troquons les skis pour les crampons afin de marcher sur la glace.
Après Summit Lake, changement de décor : c’est le début de la rivière Weasel, et ses reflets colorés.
Alors que Manu me précède en faisant mordre ses crampons sur les reflets bleus ou verts, sa pulka danse dans les rafales autour de lui. Des volutes de neige glissent à toute allure à la surface, et font une chorégraphie complexe dans le vent tempétueux. Manu disparaît parfois de ma vue alors que des fumeroles de poudre défilent sous nos crampons. Dans la glace pure aux teintes vives sont figées des milliards de bulles qui nous hypnotisent. La beauté de la rivière Weasel nous surprend tout les deux, et nous devenons des gamins explorant émerveillés chaque mètre carré de sa surface.
Une après-midi, nous abordons une partie ou la rivière est dégelée en surface. Voilà qui est troublant, et ne nous rassure guère au premier abord. Nous voyons bien que la rivière est gelée sur 2m d’épaisseur, mais nous ne voulons pas nous tremper les jambes dans une flaque de surface…On hésite sur le chemin à prendre, en sondant au piolet, écoutant les cracs. On passera finalement, en se faisant légers !
A l’abord de Windy Lake qui porte bien son nom, je perds l’équilibre sous des rafales rendant la marche impossible. Un de mes objectifs en gardera d’ailleurs un beau souvenir. On réalisera qu’il suffit presque de s’asseoir sur la glace et de se laisser glisser !
Il y a plus loin bien trop de vent pour que la neige se fixe sur le sol. Il y a même trop de vent pour pouvoir continuer à marcher. Nous décidons même de passer une journée de repos dans l’abri de Windy Lake pour éviter les mauvaises chutes.
Après quelques parties techniques/ludiques à descendre avec les pulkas (les rapides gelés de la rivière), nous abordons la zone de l’enfer : la glace se fait plus sablonneuse, et nous ne savons bientôt plus où nous sommes. Nos crampons doivent mordre maintenant du sable gelé ! Nous tirons nos pulkas avec difficulté dans ce paysage rare de l’arctique. Nos masques servent maintenant à nous protéger du sable. Mes appareils photos craquent ainsi que les grains sous mes dents…
Dans un chaos de blocs de pierres, de glace de sable et de vent, nous rejoignons Crater Lake. Formé par la moraine en retrait du glacier le dominant, sa glace bleutée est magnifique. Toute cette journée dans un vent infernal et de sable nous mènera au début du fjord de Pangnirtung, marquant quasiment la fin de notre périple.
Bientôt l’épilogue de notre aventure !
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